Est-ce que l'inconscient est une excuse ?
Est-ce que l'inconscient est une excuse ?
INTRODUCTION : PROBLÈME POSÉ
Si l'homme est gouverné par ses pulsions, il ne peut plus agir selon sa conscience et quoi qu'il fasse il est excusable. Si l'inconscient fait partie de sa conscience, l'on peut dire que l'existence de l'inconscient n'est pas incompatible avec celle d'une conscience morale. Mais précisons d'abord ce qu'est l'inconscient ?
Par inconscient, la psychanalyse entend plus précisément la partie de l'histoire affective de l'individu qui a été oubliée ou refoulée, et qui continue cependant à agir en lui parce qu'elle est constituée d'expériences fondamentales, fondatrices de son identité, et qu'en les ignorant, il s'aliène de son être authentique.
Mais alors comment expliquer le tempérament de l'enfant et ses propres pulsions s'il n'a pas encore vécu ? Selon la définition psychanalytique, l'enfant qui vient de naître ne peut avoir d'inconscient. Or nous savons que ce n'est pas le cas. L'enfant rêve, désire, manifeste sa volonté, qui est celle de son « Je suis », de son égo. Cet enfant en croissant peut devenir un génie ou le plus grand des malfaiteurs. Il y a donc bien chez lui un inconscient qui le détermine. Quel est-il ? D'où vient-il cet inconscient ? De quoi est-il formé ? Ne faut-il pas admettre la théorie de la réincarnation et de son corollaire la loi de causalité universelle ?
« L'inconscient » est une notion qui s'oppose à celle du « conscient ». Qu'est-ce que le « conscient » ? Si l'inconscient est de l'ordre du psychisme, il ne peut se confondre selon Freud avec la conscience, ni avec l'esprit, parce qu'il est composé à la fois de pensées et d'affects (émotions, sentiments, désirs).
Nous avons un corps physique comportant des processus biologiques qui se déroulent sans le recours à la conscience. Par exemple, la respiration, la circulation sanguine, les palpitations du cœur, sont des activités inconscientes, involontaires et naturelles.
Lorsque la psychologie théorise l'inconscient elle ne fait pas référence aux fonctions inconscientes du corps physique. Elle ne s'adresse qu'au psychisme et à l'âme (la psyché).
En revanche, on définit comme inconscient tous les comportements, réactions, désirs qui sont déterminés par ma nature animale et dont la culture m'a fait perdre conscience.
Le philosophe Baruch Spinoza (Éthique) écrit : « Il n'y a nulle différence entre l'appétit et le désir, sinon que le désir se rapporte généralement aux hommes en tant qu'ils ont conscience de leurs appétits, et peut, pour cette raison, se définir ainsi : le désir est l'appétit avec conscience de lui-même. »
L'inconscient est, dans ce sens, notre partie animale. C'est ce que notre conscience, dans les conditions normales, ne contrôle pas. Pourtant, la pratique d'une ascèse rigoureuse, permet de contrôler jusqu'à un certain point les palpitations cardiaques, la respiration, la circulation sanguine et d'autres fonctions de notre organisme. En Inde particulièrement, certains mystiques qu'on nomme les « yogis » sont capables de ralentir considérablement le rythme cardiaque et la respiration. On a des cas de yogis, sous contrôle médical, capable d'absorber de terribles poisons organiques comme le mercure et l'arsenic sans aucune conséquence sur leur vie. Cela signifie que même les fonctions instinctives dites inconscientes peuvent devenir parfaitement conscientes et contrôlables.
Pour Freud, l'inconscient devient le lieu de notre esprit ou de notre mental dans lequel se stockent tous les événements traumatiques, généralement vécus pendant l'enfance. C'est aussi l'ensemble des sentiments qui nous dérangent et que notre conscience refoule. Ce sont nos tabous. Ils deviennent « une sorte de mémoire cachée contenant des épisodes de notre vie qui nous ont marqués à notre insu et qui ressurgissent de manière inopinée », sans que notre volonté puisse les contrôler. La psychanalyse ou l'examen de conscience s'efforce de les faire remonter à la surface de notre conscience afin de nous guérir de nos traumatismes psychiques, souvent responsables de nos problèmes physiques. Ici encore, par l'introspection mentale nous pouvons rendre conscient ce qui nous paraissait totalement inconscient et inaccessible. C'est encore une affaire de discipline de soi à laquelle se soumettent volontairement les mystiques et les yogis.
THÈSE : L'INCONSCIENT EST UNE EXCUSE
La théorie de l'inconscient remet en question la responsabilité du sujet, à savoir l'homme.
Alain écrit : « L'inconscient est une méprise sur le moi, c'est une idolâtrie du corps. (…) Un autre Moi me conduit qui me connaît et que je connais mal. » (Éléments de philosophie)
Ce Moi dont parle Alain est l'égo, le « Je suis ». C'est ce « Je suis » (en latin « ego sum ») qui fait l'homme en sa conscience et qui le définit.
« Je » n'est pas mon corps. Mon corps physique, mon corps d'émotion ou de désir, mon instrument mental d'expression de la pensée, tout cela constitue un complexe qui définit mon « Je suis ».
René Descartes (Le discours de la méthode), faisant sienne la pensée de Saint Augustin (Confessions), affirmait : « Je pense donc je suis ».
Dans ces conditions, l'inconscient et tous les éléments constituant ma « psyché », mon âme ou mon égo, définissent la conscience du Moi que « je suis ».
Partant de l'idée que l'homme est entièrement guidé par ses pulsions psychiques (désirs, émotions, sentiments) et que celles-ci constituent l'inconscient, cela signifierait que mon moi n'est plus souverain, que mon inconscient est plus fort que ma volonté et que, par conséquent, je suis irresponsable de mes actes. C'est qu'alors l'inconscient nie la responsabilité morale de l'individu.
Sartre refuse cette idée selon laquelle l'inconscient est plus fort que la volonté. L'hypothèse de l'inconscient se révèle contraire à l'idée sartrienne selon laquelle l'homme se définit lui-même et ne saurait être irresponsable de ses actes.
Pour le philosophe Alain, il ne faut pas attribuer à l'inconscient plus de pouvoir qu'il n'en a. Il part de l'idée que nos actes et nos pensées dépendent de notre conscience et non de nos instincts vitaux et psychiques. Il s'ensuit que l'inconscient n'est pas « un autre moi, un moi inconnu et obscur dont les volontés seraient plus fortes que les miennes ». Mon corps, mes sens, mes émotions, mes sentiments, tout cela est soumis à ma volonté, et non l'inverse.
Si mes actes sont déterminés par des forces obscures, instinctives, psychiques, d'origine inconnue, que je ne contrôle pas, je n'en suis pas responsable. « Il est donc illusoire de me demander d'agir moralement. » Seul un sujet parfaitement conscient peut agir en étant responsable de ses actes.
Le philosophe grec Pythagore, le sage de Samos, recommandait à ses disciples d'effectuer chaque soir, avant de s'endormir, leur propre examen de conscience. Par cette méthode, le disciple développait une hyper-lucidité de lui-même, accédait à l'auto-conscience et découvrait par l'expérience interne, intuitive, la nature de son propre être. Il découvrait que ce que nous appelons l'inconscient n'est qu'un « conscient refoulé ». C'est la partie de notre ignorance.
« Homme, connais-toi toi-même et tu connaîtras le monde et ses dieux » déclarait-il. Cette injonction me plaît beaucoup. Je suis d'avis que de la connaissance de soi découle la connaissance de l'univers. La physique a déjà mis en évidence que l'infiniment petit (le microcosme) rejoint l'infiniment grand (le macrocosme).
Le patriarche des philosophes, Hermès Trismégiste (trismégistos en grec = trois fois grand) avait énoncé la maxime : « Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut » et inversement.
L'inconscient est de fait une modalité du conscient et inversement. L'on peut dire aussi, pour aller plus loin, que le conscient est la partie visible de cet iceberg que Aurobindo nomme le « supraconscient » de l'âme qui est une fraction de l'Âme du Monde, si chère à Platon et que Carl-Gustav Jung reprend à son compte dans sa théorie de l' « anima mundi ».
L'homme n'est par conséquent qu'un fragment ou une parcelle de la conscience de l'univers. Si pour le physicien canadien Reeves « l'homme est une poussière d'étoile » on peut tout aussi bien déclarer que « l'âme humaine ou la conscience humaine est une parcelle de la conscience cosmique ». L'homme est donc une parcelle du « Je suis ».
Dans la mesure où il est pleinement éveillé à la conscience de soi, il est nécessairement éveillé à la conscience universelle. Si sa conscience n'est que partiellement éveillée, il demeure nécessairement et partiellement inconscient du cosmos universel.
On ne saurait cependant douter que l'inconscient détermine la plupart de nos comportements. Cela ne doit pas nous empêcher de reconnaître que tout ce dont nous pouvons avoir conscience dépend entièrement de notre volonté.
Si quelque chose échappe à notre volonté, comme des pulsions incontrôlables, cela pourrait signifier, soit que nous sommes sous l'influence de forces adverses ou psychiques qui contrôlent notre psyché et notre mental (phénomènes hypnotiques ou médiumniques), soit que nous nous sommes nous-mêmes auto-envoûtés ou auto-hypnotisés, dans le sens du bien ou dans celui du mal, soit encore que nous sommes l'objet « inconscient » de manipulations psychiques subtiles afin d'orienter notre conscience dans une direction que notre âme ne désire pas réellement.
Nous savons que certaines grandes nations comme les États-Unis et la Russie ont procédé à des expériences individuelles et collectives en vue de contrôler le mental de l'humanité sans que celle-ci en soit avertie. Nous savons que certains publicistes intercalent des images ou des paroles dites subliminales en vue d'orienter le choix des consommateurs.
L'éducation nationale n'est-elle pas un autre moyen subtil de formater l'inconscient des élèves et des étudiants ? On peut subtilement orienter l'inconscient de n'importe quelle personne par la suggestion, donc par la parole. On peut opérer des « lavages du cerveau », conditionner le mental des individus et faire d'eux ce qu'ils ne sont pas réellement.
On peut alors se demander dans quelle mesure l'homme est réellement libre. Notre famille, l'école, le lycée, le collège, l'université, le cinéma, la télévision, le théâtre, la publicité, toutes les formes de propagandes et de slogans (politiques ou non), sont alors susceptibles d'influencer notre inconscient. Dans quelle mesure avons-nous le libre-arbitre, si nous pensons comme la plupart des gens qui constituent la masse ou la foule ?
Nous nous croyons libres de penser. Mais en fait, jusqu'à quel degré, ne sommes-nous pas « inconsciemment » manipulés par le pouvoir, l'autorité, le diktat des pensées d'autrui, qui m'amènent à penser selon autrui et non selon les aspirations de notre propre cœur.
Il existe socialement des rapports de force qui imposent autrui à accepter la pensée la plus forte. L'inconscient de chaque individu ou de chaque société se présenterait alors comme un amas de « formes-pensées » ou de « formes-désirs » qui s'imposerait à soi par devers ma propre volonté. Il s'ensuit dès lors que ma propre volonté ne peut plus contrôler mon imaginaire placé sous le diktat d'un pouvoir externe.
Prenons un exemple. Qui est coupable devant la justice ? L'homme qui tient le couteau et a tué ou celui qui tient la main de cet homme pour l'obliger à tuer ? Naturellement, celui qui vous oblige à tuer est le véritable meurtrier.
Lors d'une guerre, les véritables meurtriers ne sont pas les soldats, mais les chefs des nations qui poussent à la guerre. L'inconscient pourrait alors être le véritable meurtrier. S'il s'impose à la volonté humaine sans que la psyché humaine puisse agir, l'homme peut être considéré comme irresponsable et dans ce cas seulement l'inconscient excuse tout.
ANTITHÈSE : L'INCONSCIENT N'EST PAS UNE EXCUSE.
La découverte de l'inconscient ne change rien au fait que l'homme est par définition l'être de la conscience. Il agit en fonction de son degré et de son niveau de conscience.
Cependant, si pour quelque raison que ce soit, mon conscient est annihilé ou neutralisé par un agent externe à ma conscience, il va de soi que mon moi n'est plus moi, mais un autre moi. Si ma pensée n'est pas ma pensée, mais celle du criminel qui m'oblige à agir sous peine de mise à mort selon sa pensée, il est évident que l'acte criminel commis en apparence par moi n'est pas le résultat de l'être de ma conscience.
Ma conscience est mon « Je suis ». Ce « Je suis » est mon principe pensant. C'est le « Je suis » de mon âme. Il détermine les fonctions de ma « psyché », de mon égo ou de mon âme. Il détermine mes humeurs, l'activité de mes sens, mes états d'âme ou de conscience, mes désirs, mes émotions, mes sentiments, mes pulsions.
Je peux penser qu'à l'origine de ma condition humaine le disque dur de mon âme n'était rempli que d'informations positives de bien et d'amour pour tous. Par une perversion quelconque de l'humanité, il est possible que l'on ait voulu introduire en ma « bonne conscience » le virus du mal, du désordre et du chaos. Alors, mon « Je suis » originel se trouve perverti « inconsciemment » par le mal que je n'ai pas voulu.
Hormis donc ce qui précède, mon « Je suis » détermine la compréhension de ma position et de ma place au sein de l'univers dans lequel j'existe. C'est ce qui donne du sens à l'idée de Saint Augustin reprise par Descartes : « Je pense donc je suis ».
Pour penser selon mon moi, je dois d'abord préserver l'intégrité de ma propre conscience contre tout envahisseur extérieur. Il faut m'élever jusqu'au niveau de conscience de ma propre âme.
Dans ces conditions, ce qu'on appelle l'inconscient ne serait rien d'autre qu'un conscient refoulé qui détermine mes rêveries, les fonctions subtiles de mon imaginaire créateur ou destructeur, de mon imagination prolifique ou non. Si je m'en réfère à la thèse précédente, mon propre imaginaire est partie intégrante de l'imaginaire cosmique dans laquelle, d'autres que moi, vont puiser aux sources de leur imagination spécifique.
Jung (Alchimie et Psychologie) a mis en évidence que des hommes vivant aux antipodes de la planète faisaient les mêmes rêves ou qu'ils concevaient dans leur imagination les mêmes découvertes sans jamais s'être concertés d'aucune manière.
Il s'ensuit qu'une partie de ma psyché peut être totalement inconsciente. Mais cela ne signifie pas que je ne peux pas agir moralement, contrôler mes pulsions et assumer ma propre vie. Cela signifie aussi que je peux être habité par des images qui appartiennent à cet égrégore collectif ou cette entité cosmique qui serait une mémoire du cosmos mise à la disposition de tous les êtres et dans tous les règnes de la nature (minéraux, végétaux, animaux, humains et même sub-humains ou supra-humains).
On peut rejoindre l'idée de Maurice Merleau-Ponty (Signes) pour qui : « L'inconscient (…) n'est donc pas un non-savoir, mais plutôt un savoir non reconnu, informulé, que nous ne voulons pas assumer. »
L'homme est un être mystérieux. Il est forcément défini par une histoire, même s'il en ignore les tenants et les aboutissants.
Maurice Merleau-Ponty (Phénoménologie de la perception) dit que « Tout ce qui existe existe comme chose ou comme conscience, et il n'y a pas de milieu. ». L'homme est donc un être pensant. Il réfléchit à la manière dont il pense et moralise sa propre existence. Il a nécessairement une certaine perception du monde. Il ne saurait jamais être totalement inconscient.
Alain nous dit : « Un homme qui ne perçoit point n'est pas livré à ses propres idées ; bien plutôt, il n'a plus d'idées ; il dort. »
Même si l'on admet la seule hypothèse de la suprématie de l'inconscient, ce n'est certainement pas lui qui fait de l'homme un être libre moralement et raisonnable.
La conscience est quelque chose qui reste souverain en la nature humaine. D'ailleurs, c'est bien parce que Freud et Jung étaient doués d'une extraordinaire conscience analytique qu'ils ont pu dévoiler certaines mystères de la vie psychique inconsciente. Et comme le dit Husserl : « La conscience est toujours consciente de quelque chose. On n'en sort jamais, sinon lorsqu'on dort ou que l'on est mort. »
Les travaux de Freud ont permis d'établir que c'est l'étude de l'inconscient qui rend compte de l'essence même de la vie psychique, permet de comprendre en quoi « le moi conscient n'est pas maître de sa propre demeure. »
Et si l'homme n'est pas maître de ses pulsions, ce n'est pas le signe qu'il en est totalement inconscient. Parce que quoi que l'on dise, quoi que l'on fasse, quoi que l'on pense, on en revient toujours à la conscience. C'est encore elle qui reconnaît qu'elle ignore pourquoi elle a agi de telle manière.
Cela signifie aussi que c'est parce que l'homme est conscient qu'il possède un inconscient. C'est cette double réalité, cette double spécificité qui le distingue radicalement de l'animal et fait de lui un « homme de désir » ou un « être désirant ».
Mais « conscient » et « inconscient », n'est-ce pas là des modalités de la supra-conscience ou de la supra-intelligence à laquelle Aurobindo se réfère en permanence dans son œuvre majeure « La vie divine » ? N'est-ce pas des aspects de la « connaissance innée » que nous avons de soi-même selon Platon ?
Le fait qu'une partie de notre psychisme inconscient échappe à notre conscience ne nous empêche pas d'être des individus libres, responsables et moraux.
Ce n'est pas parce que l'homme est libre et responsable qu'il ne doit pas se plier à des contraintes sociales, obéir à des principes, à des valeurs, bref être guidé par une morale.
Sauf dans des cas pathologiques où l'individu perd la raison, la conscience et la volonté peuvent donc toujours avoir le dessus sur les pulsions et les instincts. L'inconscient, étant la partie refoulée de notre psychologie profonde, n'excuse pas tout.
À moins d'être possédé par une autre entité morale, comme cela peut être dans les cas de folie, on ne peut définir l'homme comme étant celui « qui ne sait plus rien du tout ». De tous les êtres vivants, il semble être le seul qui sait avec certitude qu'il pense, qu'il est mortel et qu'il est autre chose qu'un simple caillou. Il a nécessairement une certaine conscience de la morale du bien et du mal.
D'un autre côté, il n'est pas suffisant de dire comme Descartes que toute l'essence de l'homme se ramène au cogito (au « Je suis »), c'est-à-dire à cette certitude que « je sais que je pense ». Tant que « je sais que je pense », j'ai la certitude d'exister. Mais cela n'explique pas pourquoi certains individus sont des génies et d'autres non.
Les génies eux-mêmes seraient bien en peine d'expliquer les processus inconscients qui les conduisent à produire des œuvres qualifiées de géniales. Seul le fait d'avoir existé dans des vies antérieures et d'y avoir développé des facultés créatrices exceptionnelles permettrait d'expliquer le génie et la connaissance innée des uns et la sottise ou la stupidité des autres.
CONCLUSION : SYNTHÈSE
UNE AUTRE IDÉE DE L'INCONSCIENT
Le psychologue Freud a postulé l'existence de l'inconscient. Mais il n'a pas dit que c'était le seul élément à l'œuvre dans notre instrument psychique de manifestation du Moi. Il déclare qu'au-delà du Moi constituant ma personnalité mortelle, il y a aussi mon Surmoi.
Ce Surmoi ressemble beaucoup aux concepts développés par le philosophe indien Aurobindo (La vie divine) pour qui mon Moi individuel est ma « personnalité mortelle », tandis que mon Surmoi serait ma supraconscience, ma supra-intelligence, qui détermine mon Moi véritable, mon Moi éternel, mon « Je suis » permanent, l'être susceptible de se réincarner de vie en vie, de cycle en cycle.
Aurobindo, se conformant aux traditions de la pensée indienne la plus antique, défend la thèse de la réincarnation du « Je suis » et de son corollaire « la loi de la réincarnation » que Moïse (Ancien testament) nomme la « loi du talion » (œil pour œil, dent pour dent).
Le philosophe indien admet que le Moi spirituel (le Surmoi de Freud et de Jung) est le principe pensant immortel qui se réincarne d'existence en existence en se revêtant d'un vêtement mortel qui est notre personnalité temporaire. Il nous explique dans « La vie divine » que le « conscient, le subconscient, l'inconscient » constituent des degrés de la conscience de notre Moi mortel.
D'un autre côté, il défend l'hypothèse selon laquelle le Moi spirituel, mon « Je suis » véritable, est de nature permanente, qu'elle enregistre dans sa « mémoire perpétuelle » tous les événements de toutes mes vies écoulées.
Il s'ensuit que chaque égo réincarnant revient avec une « mémoire supraconsciente et supra-intellectuelle » qui détermine les fondements psychiques et psychologiques de sa nouvelle vie terrestre. Nous revenons sur terre avec les mémoires inconsciente et subconsciente de nos existences passées.
Chaque égo est dans le présent le résultat de ses vies passées. Sa morale du bien et du mal résulte du passé comme ma morale future dépend du niveau de conscience que j'aurai atteint dans la vie actuelle.
Si l'on en croit Aurobindo, qui rejoint la notion de « métempsychose » chez Platon (Le Critias, La République, Le Timée), l'inconscient constitue tout ce que nous ignorons de nos existences passées. Cependant, notre supraconscience est la mémoire permanente de notre égo-âme. C'est en apprenant à vivre sur le plan spirituel de l'âme que nous pouvons nous élever jusqu'au niveau de notre supraconscience et découvrir le souvenir de nos incarnations passées.
Platon dans ses œuvres nous parle du Moi immortel qui se réincarne, qui transite d'un corps à l'autre, qui possède la « connaissance innée », celle de nos existences antérieures. Nous nous incarnons pour progresser des ténèbres vers la lumière et de l'ignorance vers la connaissance.
Les hommes qu'on appelle les « génies » d'une civilisation seraient des êtres parvenus à un plus grand éveil de leur « conscience spirituelle », qui se seraient élevés jusqu'au niveau de la supraconscience de leur âme.
J'ai tendance à croire qu'Aurobindo et Platon disent vrai. Le monde ne peut pas exister sans cause. Il n'y a pas de fumée sans feu.
On ne peut invoquer l'hypothèse de l'inconscient pour justifier n'importe quelle morale. L'homme est responsable de ses actes car c'est un être pensant. Même l'homme le plus primitif est doué de la pensée. Il a la capacité de se maîtriser, de contrôler ses pulsions.
Mais il peut être vrai que l'égo, qui pendant de multiples réincarnations a développé et nourri des pulsions de mort et de mal, est susceptible de se réincarner avec un inconscient fortement marqué par des tendances psychiques extrêmement négatives. L'inverse est également vrai : qui a nourri le bien dans son cœur et développé ses facultés créatrices revient dans ce monde doté de ces mêmes facultés.
Je ne vois pas pourquoi certains disposent en naissant de certaines facultés créatrices et d'autres non, pourquoi certains individus sont des artisans du mal et d'autres des bienfaiteurs de l'humanité.
Saint Paul disait que « l'homme récolte ce qu'il a semé », « on est puni par là où l'on a péché » et qui « sème le vent récolte la tempête ».
On ne peut admettre que l'inconscience excuse tout. Tous les individus ont un « Je suis », donc tous les hommes pensent. Chaque égo est responsable de ses actes, à moins qu'un pouvoir extérieur l'ait influencé.
Même si l'homme est inconscient et ignorant de ses vies passées ou n'est pas conscient de ses pulsions refoulées ou de ses instincts, il reste entièrement responsable de ses actes.
Si l'on admet l'hypothèse ou la loi de la réincarnation et de son corollaire la loi des conséquences, il est bien difficile de penser que le conscient, autant que l'inconscient, puisse définir l'homme. On n'a pas d'autre choix que celui de se rendre à l'évidence et d'admettre que l'homme, en tant qu'âme vivante, possède une histoire qui n'est pas le produit d'une seule existence mais le fruit d'une multitude d'existences. L'ensemble de ces existences antérieures dont l'homme n'a pas le souvenir conscient serait le fondement de l'inconscient humain, enregistré à jamais dans la mémoire permanente de sa psyché supra-consciente.
Alors, de cette supra-conscience de notre âme, on peut admettre, jusqu'à preuve du contraire, que notre inconscient tire son origine du supra-conscient. C'est parce que l'homme pense avec son intellect analytique qu'il demeure ignorant des mécanismes supraconscients de son âme. Avec Bergson, nous devons alors admettre que le développement d'une faculté appelée « intuition » devrait permettre à l'homme d'accéder à la mémoire de ses vies passées. Il s'ensuit que ce qui était la fatalité de l'inconscient disparaît pour laisser place à la connaissance innée de soi-même.
Ce qui me paraît certain, c'est que l'inconscient n'est pas quelque chose de fatal. Il peut se présenter comme une forme de fatalité quand nous ne sommes pas libres de choisir ce que nous voulons, ni ce qui nous arrive.
C'est ce que veut dire Freud lorsqu'il déclare : « On découvre alors qu'ils [les actes du hasard] expriment, eux aussi, des pulsions et des intentions que l'on veut cacher à sa propre conscience et qu'ils ont leur source dans des désirs et des complexes refoulés. » (Cinq leçons sur la psychanalyse)
Par exemple, un élève peut exprimer une forte angoisse à l'arrivée d'un examen. Il désirerait éviter cet examen, mais il ne le peut pas. Son corps peut alors réagir de diverses manières : maux de ventre, migraines, mal-être, malaise, etc. Son inconscient crée la maladie. On peut d'ailleurs jouer sur les mots : le « mal a dit ».
Notre corps parle à notre place. L'inconscient devient ce que nous refoulons, que nous ne voulons pas connaître, voir ou accepter. Chaque individu devient ainsi capable de créer ses propres handicaps physiques et mentaux. La psychologie s'efforce de les vaincre et de les guérir par une prise profonde de conscience.
Lorsqu'on prend conscience de nos sentiments refoulés, de nos complexes, de nos peurs, de nos angoisses, ils cessent de nous apparaître comme une fatalité.
Si je m'imagine que l'inconscient est un autre Moi-même, il échappe à mon contrôle. Si au contraire je crois que c'est une illusion psychologique ou une erreur dans ma manière de penser, je peux alors me libérer de toutes mes névroses, de tous mes traumatismes, de toutes mes craintes. Dans la pénombre, je peux prendre une corde sur le sol pour un serpent qui rampe. C'est une illusion d'optique. Lorsque j'en prends pleinement conscience, je deviens dès lors psychologiquement libre et je recouvre l'équilibre et l'harmonie. Dans ce cas, l'inconscient n'est plus une excuse à aucun de mes comportements ni une justification à aucun de mes actes.
Je conclurai en disant que l'inconscient n'est pas une excuse pour quoi que ce soit, sachant qu'il est l'ensemble des complexes, des tabous, des sentiments, des désirs, des émotions et des pensées dont je n'ai pas pris conscience. Peu m'importe alors de savoir si tout cela provient de mes vies antérieures, remonte à ma enfance ou résulte d'événements récents qui m'ont traumatisé(e). Je ne peux invoquer l'inconscient comme une excuse à mes actes puisque par l'introspection ou l'examen intérieur je peux en prendre conscience. D'ailleurs, « philosopher » n'est-ce pas une manière de « prendre conscience » de notre personnalité mortelle et de l'existence de notre âme immortelle ?